Conditions Générales d’Utilisation

Article premier : la Bibliothèque est invariable

Elle représente un empilement indéfini et peut-être infini de galeries hexagonales, reliées entre elles par des corridors, eux aussi cinq par côté (les deux côtés restants étant des ouvertures sur les corridors, menant à d’autres galeries).

Chaque étagère est à hauteur d’homme et contient trente-deux livres de même format.

Chaque livre a quatre cent dix pages ; chaque page, quarante lignes, et chaque ligne, environ quatre-vingts caractères noirs. Les dos des livres portent aussi des inscriptions, sans rapport avec le contenu de leur livre.

Les corridors sont bordés à gauche et à droite par de minuscules cabinets ; l’un permet de dormir debout ; l’autre de satisfaire à ses gros besoins. À proximité passe l’escalier en colimaçon, qui s’abîme et s’élève à perte de vue.

Pour les idéalistes, les salles hexagonales sont une forme nécessaire de l’espace absolu, ou du moins de notre intuition de l’espace. Ils estiment qu’une salle triangulaire ou pentagonale serait inconcevable. (Quant aux mystiques, ils prétendent que l’extase leur révèle une chambre circulaire avec un grand livre également circulaire à dos continu, qui fait le tour complet des murs ; mais leur témoignage est suspect, leurs paroles obscures : ce livre cyclique, c’est Dieu.)

« La Bibliothèque est une sphère dont le centre véritable est un hexagone quelconque, et dont la circonférence est inaccessible. »

Article second : configurations langagières

« Le nombre des symboles orthographiques est de vingt-cinq. » Cette découverte permet d’affirmer la nature informe et chaotique de presque tous les livres.

La loi fondamentale de la Bibliothèque est la suivante : tous les livres, quelque divers qu’ils soient, comportent des éléments égaux : l’espace, le point, la virgule, les vingt-deux lettres de l’alphabet. Il n’y a pas, dans la vaste Bibliothèque, deux livres identiques. On déduit ainsi que la Bibliothèque consigne toutes les combinaisons possibles des vingt et quelques symboles orthographiques (nombre, quoique très vaste, non infini), c’est-à-dire tout ce qu’il est possible d’exprimer, dans toutes les langues.

La Bibliothèque est si énorme que toute mutilation d’origine humaine ne saurait être qu’infinitésimale, on ne peut combiner une série quelconque de caractères que la Bibliothèque n’ait pas déjà prévue.

Si chaque exemplaire est unique et irremplaçable, il y a toujours, la Bibliothèque étant totale, plusieurs centaines de milliers de fac-similés presque parfaits qui ne diffèrent du livre correct que par une lettre ou par une virgule.

Il existe un district barbare où les biblio­thécaires répudient comme super­stitieuse et vaine l’habitude de chercher aux livres un sens quelconque, et la comparent à celle d’interroger les rêves ou les lignes chaotiques de la main… Ils admettent que les inventeurs de l’écriture ont imité les vingt‑cinq symboles naturels, mais ils soutiennent que cette application est occasionnelle et que les livres ne veulent rien dire par eux‑mêmes.

Il n’est plus permis de l’ignorer: pour une ligne raisonnable, pour un renseignement exact, il y a des lieues et des lieues de caco­phonies insensées, de galimatias et d’incohérences.

Article troisième : La Bibliothèque, entité mystérieuse et totale

La Bibliothèque existe ab aeterno, elle est interminable et totale. L’espèce humaine s’éteindra, tandis que la Bibliothèque subsistera : éclairée, solitaire, infinie, parfaitement immobile, armée de volumes précieux, inutile, incorruptible, secrète.

Parmi les innombrables ouvrages contenus dans la Bibliothèque, se trouvent les Justifications : livres d’apologie et de prophétie qui justifient à jamais les actes de chaque homme et réservent à son avenir de prodigieux secrets. Mais la probabilité pour un homme de trouver la sienne, ou même quelque perfide variante de la sienne, approche de zéro.

Il suffit qu’un livre soit concevable pour qu’il existe, [...] il doit exister un livre qui est la clef et le résumé parfait de tous les autres.

« La Bibliothèque est illimitée et périodique. » S’il y avait un voyageur éternel pour la traverser dans un sens quelconque, les siècles finiraient par lui apprendre que les mêmes volumes se répètent toujours dans le même désordre – qui, répété, deviendrait un ordre : l’Ordre.

Les impies affirment que le non‑sens est la règle dans la Bibliothèque et que les passages raisonnables, ou seulement de la plus humble cohérence, constituent une exception quasi miraculeuse.

La Bibliothèque comporte toutes les structures verbales, toutes les variations que permettent les vingt-cinq symboles orthogra­phiques, mais point un seul non-sens absolu.


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